Aujourd’hui oublié, Maurice Betz est une figure importante du monde littéraire de l’entre-deux-guerres. Colmarien de naissance, il est né en 1898, à une époque où l’Alsace appartient à l’Empire allemand. Orphelin de père à 3 ans, il passe son enfance à Colmar (Haut-Rhin) et étudie au lycée impérial. Dans sa jeunesse déjà, il passe son temps à lire de la littérature française, des classiques allemands et à composer des nouvelles et des poèmes, dès 10 ans. Complètement bilingue comme les alsaciens cultivés de l’époque, il passe aisément de l’allemand au français, bien qu’il compose majoritairement, à cette période, en allemand et aille jusqu’à germaniser son nom en signant « Maurice von Betz ».
Lorsque la guerre éclate, Maurice Betz passe la frontière suisse afin de poursuivre ses études à Neuchâtel et de ne pas s’engager au sein de l’armée allemande. Son goût pour la littérature se confirme au contact de la bibliothèque du professeur Friedrich Eduard Schneegans, spécialiste de la littérature médiévale et enseignant au gymnase de Neuchâtel, chez qui une rencontre littéraire va changer la vie du jeune colmarien : celle avec une des œuvres du poète austro-hongrois Rainer Maria Rilke. Rattrapé par la guerre, il s’engage auprès de la Légion étrangère française à Berne, afin d’éviter à nouveau un engagement dans l’armée impériale. Il combat ainsi en 1918 dans l’Aisne et la Marne.
Au sortir de la guerre, il poursuit ses études à la Sorbonne en lettres et en droit dont il sort diplômé. Par la suite, il exerce en tant qu’avocat à la Cour d’Appel de Paris entre 1920 et 1925. C’est à cette même période que paraissent ses premiers écrits : le recueil de poèmes Scaferlati pour troupes en 1921, le roman Rouge et blanc en 1923 qui est également son premier succès littéraire mais surtout sa traduction des Cahiers de Malte Laurids Brigge de Rilke en 1926.
C’est d’ailleurs pour son travail de traducteur qu’est surtout connu Maurice Betz. Sa maîtrise des langues allemande et française, mais surtout de leur esprit, fait de lui un traducteur reconnu à son époque et apprécié par les auteurs des textes originaux.
C’est d’ailleurs plus qu’une simple relation de collaboration littéraire que Betz et Rilke vont entretenir, jusqu’à la mort du poète en 1926, mais une amitié sincère et profonde. C’est en 1924, lors d’un séjour de Rilke à Paris, qu’ils se rencontrent et commencent à travailler ensemble à la traduction française des Cahiers. Réunis dans l’appartement parisien de Betz, ils vont ainsi se lire simultanément, ligne à ligne, la version originale et la traduction du texte, corrigeant et modifiant mutuellement leur travail. Cette traduction « de cœur à cœur », pour reprendre l’expression de Jean Cassou, écrivain et critique littéraire, apporte de la profondeur aux versions françaises de Rilke et lui assure sa réussite littéraire dans l’Hexagone. Jusqu’à sa mort prématurée en 1946, Maurice Betz traduit une vingtaine d’œuvres rilkéennes, en édite d’autres et se fait le biographe du poète (Rilke vivant, 1937 ; Rilke à Paris, 1941).
Maurice Betz traduit d’autres auteurs allemands tels que Thomas Mann (sa version française de La Montagne magique a été une référence jusque très récemment), Goethe ou encore Nietzsche. En véritable alsacien il se fait passeur entre les deux langues, les deux peuples des deux côtés du Rhin. C’est pour cette raison que, depuis 1957, l’Académie d’Alsace décerne le prix Maurice-Betz à un écrivain, poète ou traducteur alsacien d’expression française. Parmi les lauréats, citons Alfred Kern ou Guy Heitz,
POESIE :
– Scaferlati pour troupes (1921)
ROMAN :
– Rouge et blanc (1923)
– L’incertain (1925) : se procurer cet ouvrage / accéder à cet ouvrage dans Gallica
– Le démon impur (1926)
– Plaisir d’amour (1930)
– Le rossignol du Japon (1931)
– Le ressac (1932)
– Souvenirs du bonheur (1949)
TRADUCTIONS
– Rainer Maria Rilke, Cahiers de Malte Laurids Brigge (1926) : se procurer cet ouvrage / accéder à cet ouvrage dans Gallica
– Rainer Maria Rilke, Histoire du bon dieu (1927) : accéder à cet ouvrage dans Gallica
– Rainer Maria Rilke, Fragments en prose (1929)
– Thomas Mann, La Montagne magique (1931)
– Rainer Maria Rilke, Chant de l’amour et de la mort du cornette Christoph Rilke (1940) : se procurer cet ouvrage
BIOGRAPHIES
– Rilke vivant : souvenirs, lettres, entretiens (1936)
– Rilke à Paris et les cahiers de Malte Laurids Brigge (1941)
Le fonds Betz conservé à la bibliothèque des Dominicains est indissociable du fonds Rilke du fait des liens profonds qui unissaient Maurice Betz à Rilke.
Une partie est entrée à la bibliothèque à la fin des années 1980, à la mort de Jacques Betz, cousin de Maurice Betz et héritier de ses papiers et archives personnels. Une autre partie provient d’acquisitions de la bibliothèque effectuées en 2003. Il compte aujourd’hui près de 300 pièces ainsi qu’une dizaine de manuscrits et tapuscrits de l’auteur. Ajoutons à cela que la bibliothèque conserve les premières éditions des œuvres de Maurice Betz au sein de son fonds Alsatiques.
Le fonds renferme les carnets manuscrits et tapuscrits que Maurice Betz a tenu de 1940 à sa mort en 1946. Il y traite notamment de sa mobilisation en tant que lieutenant-officier de batterie durant la Seconde Guerre mondiale et de sa période de détention au camp de Mailly. Ses carnets, véritable journaux intimes, retracent les dernières années de la vie de l’auteur et les questionnements intimes qui le traversent.
Une large partie des pièces conservées dans le fonds Betz font parties de la correspondance privée de l’auteur, s’étendant de 1919 à 1946.
Enfin, le fonds comprend de nombreux documents liés au travail de Maurice Betz en tant qu’auteur, avec des épreuves manuscrites et tapuscrites de ses œuvres corrigées, ou encore son travail de traducteur notamment des œuvres de Rilke. C’est dans ce fonds que se trouve le remarquable ensemble lié au travail de traduction de Betz sur le texte des Cahiers de Malte Laurids Brigge. La version traduite, qui a fait connaitre Rilke en France, est le fruit d’un travail en commun entre Betz et le poète : la bibliothèque possède un ensemble de feuillets de Betz annotés de la main de Rilke.
-Tombe de Maurice et Lou Betz, cimetière du Ladhof à Colmar